Juan Manuel de Prada est né dans le pays basque espagnol il y a 45 ans. Cinq ans avant la mort de Franco.Ce qui explique peut-être sa fascination pour les années noires de l’histoire espagnole, la guerre civile et la dictature. Dans Les masques du héros, paru en 1997, il raconte l’Espagne du début du XXe siècle, juste avant la fracture de la guerre civile. La même année sort La Tempête, qui reçoit le prestigieux Prix Planeta et propulse Juan Manuel de Prada dans l’arène des grands auteurs, célébré par la critique européenne.
Dans son dernier roman Une imposture, il s’intéresse à la División Azul, la « division bleue ». Entre 1941 et 1943, près de 18 000 volontaires espagnols se sont battus sur le front soviétique, aux côtés des Allemands. « Antonio, mon personnage principal, s’engage pour échapper à son passé. Quand il revient, il endosse l’identité d’un autre, un camarade mort au front. Commence alors une quête pour faire disparaître toutes les traces de son passé, nous explique de Prada. D’où le titre Une imposture. Je voulais montrer l’impact du mal sur la vie d’un homme. »
Le mal, la culpabilité, le péché… Ces thèmes reviennent dans l’ensemble de son oeuvre. « Le drame de la société européenne, c’est qu’elle refuse son passé. Des familles entières ont bénéficié du franquisme. Mais après 1975, tout le monde est soudainement devenu démocrate. » La critique ne se limite pas à l’Espagne. L’auteur écorche aussi la France de l’Occupation, quand tous les collaborateurs sont soudainement devenus résistants en 1944. « La décadence actuelle de la société européenne vient de la volonté de cacher l’histoire », assène Juan Manuel de Prada. L’imposture, encore et toujours.
En janvier, il signe une tribune intitulée « Je ne suis pas Charlie Hebdo ». Il explique : « Politiquement, je suis en désaccord avec Charlie Hebdo, même si je respecte la liberté d’expression. Religieusement, en revanche, certains dessins ne sont pas acceptables, comme celui où Jésus Christ se fait sodomiser. Tu ne peux pas traiter la voisine de pute et espérer que les relations de voisinage resteront cordiales. »
Juan Manuel de Prada ne se décrit pas comme un auteur catholique, mais sa foi influence sa conception du monde et donc, logiquement, ses romans. Pourtant, affirme-t-il, son oeuvre scandalise beaucoup de chrétiens. « Ils voudraient que la littérature ne parle que du bien, qu’il n’y ait pas de drame. Mais le drame m’intéresse, c’est une chance de vaincre le mal. »
Autour de la table, les lecteurs sont sous le charme. « Je vais lire tous vos livres, vous me perturbez positivement », s’émeut une quadragénaire. Les questions fusent. Que pensez-vous des réseaux sociaux ? « Ils représentent la dissolution de la communauté sur l’autel de l’individualisme ». Les lois qui prétendent « fixer » l’histoire ? « Une folie » ! Et Podemos ? Là, Juan Manuel de Prada s’arrête, il cherche ses mots. « Podemos, c’est la conséquence de la trahison des élites politiques. Ils ne travaillent plus pour le peuple, mais pour leur propre profit. Une partie de l’électorat de Podemos lutte pour redonner du sens à la démocratie. Aujourd’hui, le destin des Espagnols leur échappe, tout est décidé par le FMI, l’Union européenne et les Américains. Nous souffrons à cause d’un homme, loin, à Washington. »
Textes, photos et sons : ©Lisa Melia
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